Film japonais de Hirokazu Kore-eda – 125’
Avec Masaharu Fukuyama (Shigemori), Kôji Yakusho (Misumi), Suzu Hirose (Sakie)
Par Jean-Louis Requena
A la tombée de la nuit, dans un champ près d’une rivière, non loin d’entrepôts, un homme d’une soixantaine d’années Misumi (Kôji Yakusho) frappe violemment à la tête un autre homme qui le précède. Il l’achève puis brûle son corps. Misumi est rapidement arrêté et emprisonné. Il avoue le meurtre de l’homme qui est en fait son employeur. Misumi a un lourd passé : 30 ans auparavant, il a tué un autre homme, a été jugé pour cet acte, et a échappé de justesse à la peine capitale. Pour son nouvel homicide il risque également la peine de mort. Le détenu est un personnage énigmatique. Il a avoué son crime, mais face à ses avocats qui lui rendent visite au parloir, il modifie sans cesse la version des faits, il ajoute des nuances qui peuvent modifier considérablement le jugement du tribunal. Les avocats se concertent : comment plaider avec un tel justiciable ? Le jeune Tomoaki Shigemori (Masaharu Fukuyama) fils prodigue de l’avocat qui avait sauvé Misumi de la pendaison trois décennies auparavant est lui aussi désemparé. Misumi ne semble pas apprécier ce fait vieux de trente ans qu’il apprend lors des échanges au parloir.
Le trio d’avocats mené par le brillant Tomaki Shigemori lance l’enquête à la recherche de circonstances atténuantes qui semblent exister tant les propos sibyllins distillés par Misumi dans les rencontres au parloir (il y en a 7 au total !) instillent le trouble. La famille de l’entrepreneur assassiné cache des secrets familiaux, voire professionnels, qui brouillent encore la recherche de la vérité. Mais il y a-t-il une seule et unique vérité ?
Le procès instruit par une procureure pugnace va-t-il s ‘avérer décisif dans l’établissement de la vérité ? Les nappes obscures d’un passé, enfoui, douloureux, hantent le présent et en modifient ainsi sa perception.
Hirokazu Kore-eda (56 ans) réalisateur et scénariste de son nouveau long métrage présenté en sélection officielle à la Mostra de Venise 2017, est un cinéaste prolifique (17 films en 20 ans) dont la thématique centrale à part quelques exceptions (Air Doll – 2009) tourne autour de la famille décomposée/recomposée (Nobody Knows – 2004, Still Walking – 2008, Après la Tempête – 2016). Il s’agit de variations autour du « roman familial » des non-dits, du refoulé avec une attention particulière apportée aux enfants souvent victimes innocentes de drames familiaux.
Dans ce film Hirokazu Kore-eda estompe la chronique familiale pour centrer son propos sur Misumi le meurtrier (présumé ?) et Tomoaki le jeune avocat. C’est, en définitive, ce binôme qui est le moteur principal de l’histoire. Hirokazu Kore-eda soigne particulièrement les scènes de parloir en jouant du format étonnant qu’il choisit pour un film de ce genre : le Cinémascope au format large! Cela lui permet de « jouer » avec la vitre du parloir, l’hygiaphone, le nombre de participants de l’autre côté du vitrage, face à Misumi, 3 puis 2 et enfin un seul : Tomoaki l’ultime plaideur.
Le metteur en scène a choisi autour de sa thématique qu’il porte d’œuvre en œuvre une mise en scène non démonstrative, comme apaisée à l’instar du personnage principal calme, sans émotions apparentes assumant ses actes réels ou supposés.
Hirokazu Kore-eda ne cherche pas à nous distraire par de grandes démonstrations style « procès classique américain » habituel du genre mais il atténue, étouffe sa mise en images malgré le format large choisi pour mieux nous démontrer que les relations humaines sont par nature complexes et dérangeantes. L’image devient langage.
Jean-Louis Requena