Film franco-marocain de Nabil Ayouch – 119’
Sortie mars 2018
Avec Maryam Touzani, Arieh Worthalter, Abdelilah Rachid
Par Jean-Louis Requena
Au début des années 80, dans le haut-atlas marocain un jeune instituteur, Hakin (Addelilah Rachid) enseigne la nature et les sciences à des élèves berbères dans leur langue. De fait, il est compris d’eux jusqu’à ce qu’une campagne d’arabisation, décidée par le pouvoir central, l’oblige à s’exprimer en arabe classique se coupant ainsi par le langage de ses élèves et de sa classe. Il partage, dans ce bled perdu au milieu de rudes montagnes, un amour secret avec une jeune veuve Yto (Saâdia Ladid) mère d’un jeune fils Ilyas (Mohamed Zarrouk). Déprimé par son enseignement devenu incompréhensible pour son école il s ‘échappe « comme un lâche », dit il, du douar et part en autobus pour la plus grande ville du Maroc : Casablanca (4 millions d’habitants !).
Après ce prologue le récit commence et prend la forme d’un film choral comportant pas moins de quatre autres personnages vivants dans cette mégapole pleine de vitalité : une jeune femme émancipée Salima (Maryam Touzami) qui mal marié, enceinte ne veut pas garder l’enfant, un juif séfarade Joé (Arieh Worthalter) propriétaire d’un restaurant à la mode qui vit, avec son père nostalgique du passé séfarade du Maroc, un chanteur homosexuel Jawad (Younes Bouab) fan de Freddy Mercury, musicien dans un orchestre Chaâbi qui rêve d’égaler son idole et enfin une jeune fille riche Nejma (Maha Boukari), esseulée, qui ressent les premiers émois de sa sexualité.
Le réalisateur Nabil Ayouch également coscénariste tente de maintenir durant deux heures une structure historique qui nous soit compréhensible tant il n’est pas évident de faire cohabiter dans un même récit filmique cinq personnages d’égale valeur sur l’écran. Il y réussit par moments et ceux-ci sont magiques. A d’autres instants, le récit reste un peu confus et l’on discerne mal les correspondances. Les films choraux sont difficiles à réussir car le spectacle cinématographique peut déboucher rapidement sur de la confusion. Certes il y a Babel (2006) d’Alejandro Gonzalez Inarritu modèle absolu du genre sur un scénario de Guillermo Arriaga dont ce film a dû s’inspirer sans le dépasser et dont l’action commence également dans de sud marocain.
Néanmoins, Nabil Ayouch (49 ans) est un réalisateur franco-marocain important à plusieurs titres. En 2015, il nous avait proposé un film puissant dérangeant sur la prostitution à Marrakech : Much Loved (présent à la Quinzaine des Réalisateur du Festival de Cannes). Ce film à ce jour toujours interdit au Maroc décrivait une certaine société marocaine loin des clichés véhiculés par les dépliants touristiques. Il faut un courage certain pour entreprendre un long métrage de ce genre dans un pays aussi frileux sur ses mœurs affichées.
Le cinéma au Maroc est sinistré : il ne reste que 40 à 50 salles obscures dans un pays de 36 millions d’habitants (les écrans sont concentrés à Casablanca capitale économique et culturelle). Le nombre de spectateur a été divisé par 20 en 10 ans (moins de 2 millions de places vendues). Les causes sont nombreuses et s’additionnent comme à l’envie : économiques, culturelles, cultuelles, etc.
Dans ce triste paysage, il nous paraît important de soutenir un film courageux, ambitieux, hors des sentiers balisés du militantisme. C’est une œuvre cinématographique qui nous narre dans une espèce de patchwork avec quelques maladresses, la complexité de la société marocaine dans une ville monde, Casablanca, mythifiée par le cinéma hollywoodien (Casablanca – Michaël Curtiz – 1942).
Jean-Louis Requena