L’île aux chiens – Film américain de Wes Anderson – 101’
Avec Vincent Lindon, Bryan Cranston, Louis Garrel
Le deuxième film d’animation de Wes Anderson après Fantastic Mr. Fox (2009) est un « ovni » cinématographique d’une bizarrerie réjouissante. Au Japon, dans un futur dystopique, le maire autoritaire Kobayashi de la ville de Megasaki, signe en grande pompe un décret bannissant tous les chiens à Trash Island une petite ile au large de sa mégalopole. C’est un immense dépôt d’ordures, d’immondices de toutes sortes ou survivent, affamés, malades, des hordes de chiens de toutes races qui se battent pour la moindre pitance. Un enfant de 12 ans, Atari, neveu orphelin et pupille du maire, vient en avion chercher son chien Spots qui a été déporté dans ce cloaque. L’improbable aéroplane se crashe et l’enfant blessé est recueillit par des chiens : Rex, King, Duke, Boss et enfin Chief agressif, réticent avec le genre humain.
Sur cette ile maudite, insalubre, ravagée par des montagnes de détritus sans cesse « alimentées » par des funiculaires qui zèbrent le ciel, Atari et les chiens partent à la recherche de Spots. Pendant ce temps, dans la mégalopole, une équipe de scientifiques autour du Professeur Watanabe, opposé au maire, cherche un sérum pour enrayer le virus de la grippe canine cause de la déportation massive des canidés.
C’est une véritable course qui démarre entre les politiques, les scientifiques, Atari et les compagnons de l’île poubelle. Qui arrivera le premier à ses fins ?
Dans son film précédent The Grand Budapest Hôtel (2014) nous avions pu admirer l’extraordinaire maitrise de la mise en scène de Wes Anderson à tous niveaux : images coloriées flashy, jeu burlesque des acteurs, décors incongrus, casting de prestige, narration chapitrée, et bien d’autres ingrédients qui font de ce réalisateur autodidacte un cinéaste à part, aux œuvres toujours surprenantes.
Dans son neuvième long métrage, il pousse plus loin son art en nous proposant des images en Stop-motion (animation en volume). C’est à dire que des figurines, marionnettes, poupées (les trois peuvent cohabiter sur le même plan, la même séquence) sont animées grâce au procédé fastidieux d’image par image (le tournage du film a duré deux ans !). Le résultat est étonnant à la fois poétique et par moment bizarrement dérangeant. Ce n’est pas de tout repos pour le spectateur d’autant que les japonais… parlent japonais sans sous-titres et les chiens anglais (en version originale). Les voix sont celles reconnaissables d’acteurs américains : Bryan Cranston, Scarlett Johannson, Edward Norton, etc. (la version française que nous n’avons pas visionnée bénéficie elle aussi de voix d’acteurs très connus : c’est un gage de qualité).
Le film, qui au détour de quelques plans rend hommage aux grands maîtres du cinéma japonais (Akira Kurosawa, Yasujiro Ozu, Hayao Miyazaki, etc.), est également gorgé de référence à quelques cinéastes américains : Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick, Orson Welles, etc. C’est un jeu de piste amusant pour cinéphiles qui démontre, non sans humour, l’étendu du bagage cinématographique du réalisateur et de ses coscénaristes.
Wes Anderson n’a pas reculé face à la difficulté extrême de tournage (2 ans !), le coût financier qu’il générait, et la dangerosité d’une telle proposition artistique à un large public. Est-ce un film pour enfants ? Nous sommes fort loin des dessins animés numériques de la firme Disney. Un film pour adultes et/ou pour les plus de dix ans comme le suggère une publicité ? En résumé, le goût narratif, poétique, visuel de Wes Anderson ne nous laisse pas indiffèrent. La thématique choisie, un Japon post-Fukushima, est une sorte de fable canine, écologique, sur l’exclusion : les chiens (humains) sont déportés car ils ont la « grippe truffoïde ». Cette allégorie audiovisuelle n’est-elle pas d’actualité ?
En 2018, à la Berlinale le film a obtenu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur.
Jean-Louis Requena