L’Été dernier
Film français de Catherine Breillat -104’
Une jeune fille confesse qu’elle a été violentée par un groupe d’individus lors d’une soirée. Anne (Léa Drucker), la quarantaine, avocate de renom spécialisée dans les violences sexuelle sur les mineurs, lui pose sans détour des questions : avait-elle bu auparavant ? Combien de verres ?. Connaissait-elle ce groupe ? etc. : le but étant d’étayer, de consolider, le dossier juridique. La jeune fille bredouille sous le feu roulant des questions. Anne veut la défendre devant un tribunal, mais pour ce faire, elle a besoin de savoir la vérité, toute la vérité sans fard.
Anne vit dans une belle demeure avec un parc à 50 kilomètres de Paris. Elle est mariée avec Pierre (Olivier Rabourdin), un homme d’affaires anxieux et surmené. Le couple a adopté deux petites filles de 7 et 9 ans originaires d’Asie : Serana (Serena Hu), et Angela (Angela Chen). La famille recomposée, Pierre est divorcé d’un précédent mariage, est unie et aimante. Pierre traverse dans son entreprise une période difficile : il en est perturbé, fatigué. Toutefois, il bénéficie de l’appui solide d’Anne.
Quelque temps plus tard, Pierre annonce qu’il a demandé à son fils Théo (Samuel Kircher) 17 ans, né de sa première union, de venir habiter dans leur grande maison afin de se rapprocher de lui : il souhaite renouer une relation filiale. Anne accepte, tout en soulignant qu’ils vivent retirés dans la campagne, éloignés de toutes distractions pour un adolescent. Théo arrive dans la famille sans s’y intégrer : c’est un adolescent aux cheveux longs bouclés, beau garçon, mais très perturbé. En l’absence de Pierre, souvent en voyage pour ses affaires, Anne s’efforce d’incorporer Théo dans le cocon familial … Ce dernier résiste.
Anne est progressivement troublée par cet adolescent réfractaire, fantasque, imprévisible, au comportement bravache sous l’apparence d’un ange botticellien. Une complicité finit par s’établir entre l’adulte et le jeune homme …
L’Été dernier est un « remake » du film danois Dronningen (2019) réalisé par May el-Toukhy. Le scénario, plus complexe, a été rédigé par Catherine Breillat avec le concours de Pascal Bonitzer. En 2015, la réalisatrice a eu une grave hémorragie cérébrale (AVC) dont les séquelles sont une paralysie de tout le coté droit. Diminuée, tentant de réaliser un film (Bad Love), elle est escroquée par le mythomane et sulfureux Christophe Rocancourt, lequel devait en être l’acteur principal. Compte tenu de sa santé fragile, elle n’avait pas mis en scène de longs métrages depuis 9 ans (2013 : Abus de faiblesse, sur l’affaire Rocancourt). C’est le producteur Saïd Ben Saïd (SBS Productions) qui lui a proposé de faire un « remake » français de Dronningen à sa grande surprise. Le récit trouble d’une relation entre une adulte et un adolescent, la subjugue, car en résonnance avec son univers personnel que la réalisatrice a développé dans ses précédents films : 13 au total, d’Une vraie jeune fille (1976) jusqu’à L’Été dernier.
En dépit de la réputation de Catherine Breillat, son goût pour les scènes de sexe explicites (1999 : Romance avec l’acteur X italien Rocco Siffredi !), l’Eté dernier est un long métrage, « sage » en apparence, mais biaisé par le regard novateur de la réalisatrice qui déclare : « Ce qui m’intéresse, c’est le désir, l’amour, la pulsion amoureuse, la culpabilité … enfin tout ce qui nous échappe, tout ce qui est de l’ordre du non-dit et que j’appelle notre « lieu commun ». De fait Catherine Breillat abolit les scènes « classiques » en contrechamp pour filmer les visages en gros plan : celui d’Anne (Léa Drucker) cadré d’une manière frontale ou celle-ci se tient immobile, comme statufiée, après l’amour (référence explicite au peintre Le Caravage (1571/1610) : Marie-Madeleine en extase (1606), même angle du portrait, même intensité, même lumière) et également en blonde hitchcockienne (le feu sous la glace !); Théo (Samuel Kircher) cadré en plongée en très gros plan lequel accentue la masse de ses cheveux bouclés, mais aussi en plan large, le torse nu, son corps exposé tel un ange tentateur et maléfique ; Pierre (Olivier Rabourdin) au physique d’acteur américain (il est ridé verticalement : dixit Catherine Breillat), cadré en plans plus anodins, dans son environnement familial (à table, au petit déjeuner, etc.).
L’été dernier « bénéficie » d’un montage court (1h 44 minutes) qui resserre le récit autour de l’essentiel (la durée initiale était de 2h 15 minutes) : l’histoire y gagne en intensité. Nous sommes captés par cette description, somme toute banale de ce trio : une belle femme mariée, un mari accablé de travail, un beau-fils perturbateur. Cependant, Catherine Breillat transcende, par sa maîtrise sans concession (très directive avec ses acteurs !) la grammaire cinématographique : le rendu final sur l’écran aurait pu être une « pantalonnade » à la mode du « théâtre de boulevard ». Grâce à elle, il n’en est rien !
Soulignons la magnifique lumière de la directrice de la photographie, Jeanne Laporie, qui éclaire les scènes intérieures comme des tableaux du XVII siècle (Le Caravage 1571/1610, déjà cité) mais aussi celles extérieures en référence aux peintres impressionnistes (Auguste Renoir 1841/1919). Ajoutons, que Catherine Breillat a toujours été parcimonieuse de bandes musicales lesquelles surlignent par trop, selon elle, les séquences en les « polluant ». Dans son dernier opus, elle persévère dans son choix.
L’été dernier a été présente au dernier Festival de Cannes 2023 en sélection officielle. Le film n’a eu aucune récompense malgré la sidérante composition de Léa Drucker qui aurait mérité le Prix d’interprétation féminine attribué par le jury … à un second rôle !
Jean Louis Requena