Film franco-belge de Dominik Moll – 115′
Avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi
Sortie : 13/07/2022
Par Jean-Louis Requena
Nuit du 12 octobre 2016. Les inspecteurs de la Police Judiciaire de Grenoble fêtent, bruyamment, le départ à la retraite de leur chef de groupe. Un nouveau chef, le capitaine Yohan Vivès (Bastien Bouillon), le remplace : peu extraverti, il est taiseux, presque effacé.
Dans la vallée de Saint-Jean-de-Maurienne, une jeune femme, Clara Royer (Lula Cotton-Frapier), sort seule, d’une fête entre amis. Il fait nuit noire. Elle téléphone à son amie, Nanie (Pauline Serieys), pour la remercier de cette chaleureuse soirée. Soudain, elle est interpellée par un individu en capuche qui l’asperge d’un liquide inflammable, puis allume un briquet : elle prend feu et se consume en courant sur la route déserte. Au terme de quelques dizaines de mètres, elle s’effondre en flammes …
Le capitaine Yohan et son équipe, dont son adjoint Marceau (Bouli Lanners), sont mandatés par le Procureur de la République pour diligenter une enquête sur ce meurtre horrible. Ces derniers sont surpris que l’affaire ne soit pas confiée à la Gendarmerie de Saint-Jean-de-Maurienne, comme c’est la règle tacite. Une longue enquête de voisinage commence sur les faits et gestes de Clara avant son assassinat. La P.J récupére le téléphone portable dont elle exploite les données, interroge tous les voisins, dont en particulier Nanie sa meilleure amie. Le capitaine Yohan éprouve quelques difficultés à annoncer à ses parents la mort brutale de leur fille, Clara Royer.
Au fils des investigations, des interrogatoires, quatre suspects masculins semblent se distinguer aux yeux du groupe de recherche … L’officier de police Marceau qui traverse une crise conjugale demande à son supérieur, Yohan de l’héberger chez lui momentanément. Celui-ci, célibataire, accepte à certaines conditions tout en comprenant le désarroi de son collègue.
L’enquête piétine sans progrès notoires. La morte semblait avoir un penchant pour les « bad boys »… Un d’entre eux se serait vengé…
La Nuit du 12 est l’adaptation un crime réel, non résolu, décrit dans le livre de Pauline Guéna : 18.3 – Une année à la P.J. L’écrivaine s’était immergée durant un an dans une brigade de la P.J de Versailles. Elle y a observé les retombées psychiques, comportementales, sur les enquêteurs, qu’avaient les homicides non élucidés : les Cold Cases (20% des investigations pour homicide). Dans le film de Dominik Moll (60 ans), le groupe exclusivement masculin d’enquêteurs, est décrit dans la quotidienneté de l’exercice de leur métier (paperasses, photocopieuse obsolète, etc.), face au dysfonctionnement de la justice (l’oubli d’un tampon peut annuler une procédure), aux heures de travail extensibles, à la lente désagrégation de leurs vies privées rongées par leurs vies professionnelles. Le réalisateur également scénariste, avec Gilles Marchand, nous narre par une mise en scène très organique, sans esbroufe mais parfaitement maîtrisée, le processus de la non résolution de ce féminicide sur une durée de trois ans. La construction narrative est audacieuse puisque sachant dès le générique (carton informatif) que le crime restera sans coupable, nous, spectateur espérons tout au long du récit chaotique que ce dernier sera démasqué : nous avons sur l’écran abondance de suspects donc coupables potentiels. Avec le temps, les équipes changent, se féminisent, mais le problème reste irrésolu. La vie quotidienne des enquêteurs fait penser au film du regretté Bertrand Tavernier (1941/2021) L.527, modèle de film policier non axé sur une intrigue policière, la recherche d’un assassin, mais sur la description d’un groupe humain confronté à des violences conjugales ou autres. Également, par son amplitude thématique à Memories of Murder (2003) du sud-coréen Bong Joon-ho ou à Zodiac (2007) de l’américain David Fincher.
Le temps écoulé autour de cette affaire (près de 3 ans) n’arrange pas les choses, mais au contraire les complexifie : les faits sont têtus et inexploitables. Mais de nouvelles figures entrent en jeux.
Dominik Moll nous avait impressionnés dès 2000 avec Harry, un ami qui vous veut du bien, puis plus tard avec Seules les bêtes (2019) ou l’on retrouve son acteur principal, Bastien Bouillon (capitaine Yohan), ici taiseux, placide, mais rongé par l’échec de son enquête.
La Nuit de 12 a été sélectionné au dernier Festival de Cannes dans la section « Cannes Première ». C’est un thriller palpitant qui nous enserre dans sa narration heurtée.