Les Graines du figuier sauvage
Film franco-allemand de Mohammad Rasoulof-166’
Un fonctionnaire remet un pistolet automatique avec quelques balles à Iman (Missagh Zareh), la quarantaine, pour qu’il se protège de toute agression : il vient d’être promu enquêteur pour un tribunal islamiste. Tout auréolé de sa promotion, de retour chez lui dans son appartement exiguë, il en réfère à sa femme Najmeh (Soheila Golestani) laquelle s’en réjouit. Peut-être que, dans un délai raisonnable, la famille pourra prétendre vivre dans un logement plus grand dans un meilleur quartier surveillé, où les filles Rezvan (Mahsa Rostami) l’ainé âgée de 21 ans et sa sœur cadette Sana (Setareh Maleki) d’une quinzaine d’année auront leur propre chambre. Pour l’heure elles ont la même. La famille s’enchante de la promotion du paterfamilias, garant de la stabilité et de l’ascension de la famille.
Cependant, Iman a donné comme consigne à sa femme de ne pas parler de son travail et de maintenir les filles dans l’ignorance de celui-ci ; ainsi que de restreindre toutes communications avec leur environnement personnel. Son nouveau poste, sensible, est ciblé par des opposants au régime de la République islamique (née en 1979). Deux ans après l’arrestation (septembre 2022) de la jeune kurde Mahsa Ammini pour port de voile (hija) jugé « inapproprié » par la police des mœurs, suivi de sa mort suspecte, des militantes du mouvement « Femme, vie, liberté », défilent, sans voile, dans les rues des villes iranienne. Le régime théocratique des mollahs vacille malgré une féroce répression. Dans le gynécée, sur les conseils pressant de son mari, souvent absent, accablé par ses nouvelles fonctions, Najmeh tente de soustraire avec fermeté ses filles à ce mouvement de rébellion.
Rezvan et Sana sont jeunes femmes de la génération Z, accoutumées aux réseaux sociaux lesquels diffusent des vidéos des manifestations : ceux-ci démontrent la violente répression des polices du pouvoir islamique envers les contestataires : gazages, violences physique, arrestations musclées, etc. Rezvan et Sana ne sont pas insensibles aux protestataires de leur âge d’autant qu’une amie étudiante de Rezvan, Sadaf (Niousha Akhshi) plus délurée, plus engagée, mieux informée, leur rend visite.
Leur mère, Najmeh met en garde ses filles sur l’influence néfaste de Sadaf qui lui apparait, pour le moins, frivole …
Mohammad Rasoulof (52 ans) a tourné Les Graines du figuier sauvage dans des conditions clandestines. Déjà incarcéré à plusieurs reprises par le régime de Téhéran à l’instar de ses confrères par exemple Jafar Panahi (Ours d’or à Berlin en 2015 pour Taxi Téhéran), il a fabriqué son long métrage au jour le jour en exfiltrant les images du territoire national afin qu’elles ne soient pas saisies par les autorités iraniennes. Les rushes ont été monté au rythme de leur livraison par Andrew Bird un monteur … anglais. Le casting fut lui aussi difficile, laborieux, car les acteurs acceptant les rôles seront rapidement découverts et poursuivis. Malgré ces contraintes, le film a pu être présenté au dernier Festival de Cannes dans la sélection officielle.
Dans un interview, Mohammad Rasoulof à propos de son dernier opus, narre la genèse de son travail de scénariste : « J’ai repensé à une confession que m’avait faite un membre du personnel de la prison, et qui était gravé en moi : en pleine répression généralisée du mouvement « Femme, vie, liberté », alors qu’il visitait les cellules des prisonniers politiques, cet homme m’avais pris à part pour me dire qu’il voulait se pendre devant l’entrée de la prison. Il souffrait d’un intense remord et ne pouvait se libérer de la haine qu’il éprouvait pour son travail ». Le réalisateur scénariste nous avait accoutumé à fouailler les plaies de la société iranienne soumise à une dictature théocratique depuis 45 ans (deux générations), fortement corrompue tous azimuts (religieuse, économique, sociétale, etc.), par des mollahs souvent ignorants. La religion plaquée sur le réel n’étant pas, dans son essence, un vecteur d’ouverture sur la complexité du monde. Déjà, Un homme intègre (2017), (cf. critique Baskulture de décembre 2017) nous narrez les affres d’un homme entreprenant face à l’inertie et la corruption des élites (prix Un certain regard au Festival de Cannes). En 2021, du même auteur, nous avons visionné les quatre épisodes de Le Diable n’existe pas (Ours d’or à la Berlinale 2020) (cf. critique dans BasKulture décembre 2021) sur « la banalité du mal » : 853 exécutions capitales en 2023 selon une ONG Onusienne !
Dans cette fiction très documentée, Mohammad Rasoulof oppose un monde clos l’intérieur, (l’appartement), où les échanges entre la mère et ses filles sont intenses, ponctués par l’apparition du Paterfamilias, soutien indéfectible du régime toutefois tourmenté par sa profession d’enquêteur ; le dehors, filmé par des téléphones portables qui diffusent grâce aux réseaux sociaux, l’ampleur, l’apprêté de la répression. Najmeh, la mère, tente d’équilibrer les deux mondes entre ses filles rebelles et son mari soumis au régime des mollahs. Comme dans ses deux précédentes œuvres le réalisateur maintient tout au long du film (2heures 46 minutes) un récit haletant (ici au sein de la cellule familiale), un thriller politique, un suspense permanent, sans issue autre que tragique.
Afin d’échapper à une nouvelle incarcération, peu avant la présentation des Graines du figuier sauvage, Mohammad Rasoulof s’est enfui de son pays : il vit avec sa famille en Allemagne. Les principales actrices se sont également exfiltrées d’Iran.
Mohammad Rasoulof a explicité le titre énigmatique, métaphorique, de son dernier opus : « Le cycle de cet arbre (figuier sauvage ou « Ficus religiosa ») m’a inspiré. Ses graines contenues dans les déjections d’oiseaux, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle ».
Les Graines du figuier sauvage ont fait sensation lors du dernier Festival de Cannes. Le film a été récompense par le Prix spécial du jury présidé par la réalisatrice américaine Greta Gerwig. Dommage, la prestigieuse Palme d’or lui semblait promise. Qu’importe, ce chef d’œuvre est à voir toutes affaires cessantes !