Sortie 24 octobre 2018
Film polonais de Pawel Pawlikowski – 87’
Avec Joanna Kulig, Agata Kulesza, Tomasz Kot
Par Jean-Louis Requena
En Pologne, dans l’immédiat après Seconde Guerre Mondiale, un couple de musiciens Wiktor (Tomasz Kot) et Irena (Agata Kulesza) parcoure la campagne polonaise afin d’enregistrer des musiques villageoises. Cette moisson de chants populaires a pour but d’alimenter, en répertoire, la nouvelle chorale que dirige d’une main sûre Wiktor à la fois chef de chant et pianiste virtuose. L’entreprise culturelle, sous la coupe des caciques communistes, la Pologne étant une « démocratie populaire », devient une référence artistique nationale. La chorale avec ses chanteurs et danseurs folkloriques magnifie l’esprit nationaliste polonais.
Une jeune femme Zula (Joanna Kulig) belle, dilettante, rebelle vient auditionner pour entrer dans l’institution musicale devenue une sorte de conservatoire régional. Malgré ses lacunes en chant, en danse, elle est engagée par Wiktor qui est épaté par sa forte personnalité sans complexe apparent : c’est une perle rare cachée sous une gangue rugueuse. Il va transformer cette belle nature en une véritable artiste et, tel pygmalion, va tomber amoureux d’elle. Une relation compliquée, tendue, s’établit tant bien que mal entre les deux amants.
En 1952, en tournée à Berlin-Est avec sa troupe folklorique polonaise qui a un grand succès, Wiktor décide de passer à l’ouest et demande à Zula de le suivre.
Elle ne viendra pas au rendez-vous. Désormais les amants séparés vivent de chaque côté du « Rideau de Fer » durant des années. Quelques retrouvailles sporadiques, au gré des voyages de l’un et de l’autre, dans une Europe divisée (Ouest et Est), engoncée dans la Guerre Froide (Cold War), raviveront leurs blessures intimes.
C’est ce mélodrame amoureux, fragmenté, dissocié par la géopolitique du moment étrangement « distancé » par son traitement cinématographique (photo noir et blanc, format image carré 1.33 , cadrages insolites, musiques d’époque, etc.) que le réalisateur polonais Pawel Pawlikowski nous propose.
Après Ida (2013) son précèdent long métrage qui nous avait déjà subjugué par son parti pris visuel (photo noir et blanc carrée) identique à ce dernier opus (même chef opérateur : Lukasz Zal), nous attendions cette nouvelle réalisation avec une certaine impatience. Le récit filmique est fragmenté en longues séquences de retrouvailles, troué d’absences, dans des lieux et ambiances différents : Berlin, Paris, Belgrade, Varsovie…Pawel Pawlikowski nous impose une discontinuité dans le temps et dans l’espace. L’entre deux semble disparaitre lorsque les amants, au gré de leurs pérégrinations professionnelles et/ou affectives, se rejoignent. Il y a des trous scénaristiques volontaires, des non-dits (procédé hitchcockien !), qui ne nuisent pas à la vraisemblance, ne détruisent pas la compréhension du récit, mais qui bloquent, en quelque sorte, l’émotion qui naitrait de l’identification aux amants malheureux.Pawel Pawlikowski, cinéaste tardif (premier de fiction film à 40 ans), confirme après Ida un talent singulier de raconteur d’histoire en image avec son : c’est l’essence même du cinéma.
La bande son musicale lie les séquences tout en les datant (thèmes musicaux, chansons, etc.) et « enveloppe » Viktor et Zula jusqu’à leur prochaine séparation. C’est un mélodrame musical, non larmoyant, sur le thème de « ni avec toi, ni sans toi » cher à François Truffaut (La Femme d’à Côté – 1981).
En compétition lors du dernier Festival de Cannes Cold War a obtenu le Prix de la Mise en Scène.