Film américano-britannique de Frances O’Connor- 130’
Avec Emma Mackey, Fionn Whitehead et Oliver Jackson-Cohen.
Angleterre, février 1820. Le révérend Patrick Brontë (1877/1861) est nommé perpétuel de la paroisse de Haworth, village perdu dans les landes de la province du Yorkshire (nord-est de l’Angleterre). C’est un prêtre méthodiste (scission de l’église anglicane au XVIII ème siècle) d’extraction modeste, très cultivé (études à St John’s Collège de Cambridge), tolérant, lecteur de publications renommées (Blackwood’s Magazine), dans une Angleterre en plein essor économique, au terme des guerres napoléoniennes (Waterloo, juin 1815). De son union avec Maria Branwell (1783/1821) en 1812, naîtront six enfants (cinq filles et un garçon) : Maria (1814/1825), Elizabeth (1815/1825), Charlotte (1816), Patrick (1817), Emily Jane (1818), Anne (1820). Les deux premières filles sont mortes en bas âge, 11 ans et 10 ans, le révérend déjà veuf, reportera toute son affection, sa tendresse, son enseignement de qualité, sur les quatre enfants survivants. Dans l’Angleterre de cette époque, la durée de vie moyenne était de 25 ans, le taux de mortalité infantile de …. 41% ; presque une naissance sur deux. Maria Brontë décède en 1821, à l’âge de 38 ans, laissant la charge de ses quatre enfants « survivants », Charlotte, Patrick, Emily Jane et Anne à son époux bientôt rejoints par la sœur ainée de la défunte : Elizabeth Branwell (1776/1842), surnommée tante B. Celle-ci prendra en charge, avec autorité, le train de vie de la maison (repas, ménages, entretien, etc.), afin d’alléger la charge du révérend.
Au presbytère, masure isolée, battue par les vents, par les pluies soudaines, règne une atmosphère studieuse, une émulation constante : le garçon et les trois filles, dont les naissances sont rapprochées (de 1816 à 1820), s’entendent à merveille, créant, d’eux même, des jeux de rôles et d’écriture de plus en plus complexes. Bien que séparées momentanément par des voyages (études, convalescences, enseignements, etc.), les sœurs retrouvent à Haworth en compagnie de leur frère, les lieux de leurs enfances, de leurs insouciances, de leurs jeux cérébraux incessants …
En 1839, le révérend William Weightman est nommé vicaire de la paroisse de Haworth. Patrick Brontë l’invite dans sa famille. Il en devient un familier …
Emily est le premier film de l’actrice (25 films) et réalisatrice australienne Frances O’Connor (55 ans). Elle est également la rédactrice du scénario qui est centré sur la personnalité farouche, énigmatique, d’Emily Jane, le cinquième enfant de la famille Brontë. Cette fratrie soudée, aux conditions de vie difficile, rude, confinée (habitat isolé, mais vie intellectuelle intense) a généré pas moins de quatre écrivains remarquables : Charlotte (Jane Eyre, 1847), Emily Jane (Wuthering Heights, les Hauts du Hurlevent, 1847), Anne (Agnès Grey, 1847). Auparavant, les trois sœurs avaient publié, à compte d’auteur, un livre collectif de poèmes, Poems publié sous trois noms d’emprunts masculins ! : Acton Bell, Currer Bell et Ellis Bell ! Patrick, le frère, aura un destin moins glorieux miné par l’alcool et le laudanum à la suite d’une déception amoureuse.
Emily n’est pas un « biopic » rigoureux mais romancé (intrusion du révérend William Weightman, par exemple) d’une grande fluidité narrative tout au long du parcours d’Emily Jane Brontë. Il décrit sans concession, sa personnalité complexe, ses frustrations, ses rejets, le caractère entier de la jeune romancière, la plus douée de la fratrie, qui, bien que graphomane, n’a publié qu’un seul roman presqu’au terme de sa courte existence (30 ans !). Emily Jane rassemble en un seul texte, tous les styles narratifs connus de son époque : le gothique, le fantastique, le romantique, « le Byronisme » (Lord Byron 1788/1824), etc. liés, fondus, par son talent. La réalisatrice novice, Frances O’Connor nous propose une mise en scène très physique : les randonnées solitaires d’Emily Jane dans les landes de bruyère brumeuses ou pluvieuses, grevées d’orages soudains, de vents incessants, ces éléments naturels contrastant avec l’aspect (faussement) accueillant des habitats. A la somptuosité triste et lugubre des paysages, vide de gens, s’opposent les intérieurs chaleureux en apparence, faiblement éclairés par des bougies, mais en réalité froids, humides, porteurs de menaces mortifères : c’est dans ce confinement que, par contagion, les maladies mortelles telle la tuberculose, prospèrent.
Les images remarquables du directeur de la photo Nanu Segal, manifestement inspirées par moments de celles de Stanley Kubrick (1928/1999) pour les intérieurs (Barry Lyndon, 1975) et Terrence Malick (1943) pour les paysages vallonnés (Une vie cachée, 2019) s’accordent à merveille avec l’histoire tragique d’Emily Jane. Il faut y ajouter une musique originale à la fois lyrique et dramatique d’Abel Korzeniowski bien qu’elle soit, parfois, trop présente.
Emily de Frances O’Connor bien que sage dans sa fabrication, n’en est pas moins intéressant. La famille Brontë par son étrangeté a de tout temps attirée, avec plus ou moins de bonheur, les cinéastes : Devotion (1946) biographie hollywoodienne de la fratrie ; Les Sœurs Brontë (1979) long métrage ambitieux, mais inabouti, réalisé par le français André Téchiné (difficultés au montage) ; sans compter de multiples adaptations de ce chez d’œuvre, sorte d’ovni littéraire, que sont Les Hauts du Hurlevent : En 1939 par le cinéaste américain William Wyler (1902/1981) avec Laurence Olivier (Heatchcliff) et Merle Oberon (Cathy) ; Avec le même titre, en 1992 par Peter Kosminsky, avec dans les rôles principaux Ralph Fiennes et Juliette Binoche, pour ne citer que les œuvres cinématographiques les plus remarquables.
Les acteurs britanniques d’Emily sont épatants ; ils seraient tous à citer. La palme revient sans conteste à la comédienne franco-britannique Emma Mackey (Emily Jane) au jeu très subtil jamais appuyé, qui fait passer par son maintien (les robes victoriennes !), son visage expressif, toute la variété, l’intensité, des émotions qui la transpercent. Pour l’interprétation inspirée d’Emma Mackey, Emily mérite le détour !
Jean louis Requena