Film britannico-américain de Sam Mendes-119’. Avec Olivia Colman, Colin Firth, Micheal Ward.
1980, Sud de l’Angleterre. Dans une station balnéaire, en bordure de mer, s’élève un immeuble imposant style Art déco : l’Empire, un complexe cinématographique de trois salles. Seule la grande salle est encore en activité. Avant l’ouverture, des employés s’affairent à nettoyer la salle jonchée de papiers, de pop-corn, de détritus divers. En Angleterre, les spectateurs peuvent consommer et fumer pendant les séances ! Sur le plan politique, c’est le début de l’ère thatchérienne (1979/1990), laquelle a remanié le Royaume Uni en profondeur sous la conduite du Premier Ministre : Margaret Thatcher (1925/2003), surnommée « la Dame de Fer ». Pour appréhender ce « tsunami », disons que son gouvernement s’est acharné à détruire les corps intermédiaires représentatifs (entreprises d’états, syndicats, diverses institutions, etc.), et à promouvoir un euroscepticisme militant (« le rabais britannique »). L’exécutif, sous sa poigne ferme, applique avec méthode, la doctrine de l’École monétariste dite de Chicago. Les résultats sociétaux à courts termes sont violents. Le Brexit (31 janvier 2020) n’est qu’un enfant tardif, mais naturel, de cette idéologie monétariste.
A l’Empire, une petite équipe est dirigée par la gérante Hilary Small (Olivia Colman) sous la gouverne paternaliste du directeur, Mr. Ellis (Colin Firth). Le projectionniste consciencieux, Norman (Toby Jones), déplore les conditions de projection. En effet, les spectateurs en fumant dispersent un nuage qui obscurcit l’écran dégradant ainsi la qualité du faisceaux lumineux (projection de la pellicule standard de 35 mm). Pour renforcer l’équipe, Mr Ellis engage Stephen (Micheal Ward), un jeune homme fort beau, noir, un étudiant qui faute de ressources familiales, a interrompu ses études universitaires. Stephen, guidé par Hilary découvre l’univers de l’Empire qui cache des trésors …
Hilary, cinquantenaire esseulée, à la personnalité instable, est attirée, fascinée, par Stephen, le nouvel arrivant, différent …. Mr Ellis annonce à l’équipe réunie au complet, un grand évènement cinématographique qui dopera la fréquentation en baisse de l’Empire …
Empire of Light est le neuvième long métrage de Sam Mendes (57 ans) ou, pour la première fois, il est également le scénariste. Rappelons qu’il nous avait conquis dès son premier opus American Beauty (1999) couvert de récompenses (Oscar 2000, Golden Globes 2000 du meilleur réalisateur, et bien d’autres prix). Après quelques autres films, il a réalisé deux James Bond, Skyfall (2012) et 007 Spectre (2015) dont il a réussi, prouesse incroyable, à rendre à une franchise essoufflée (22 longs métrages de qualité variable !), un nouvel élan. Les deux budgets respectifs, faramineux, de 200 millions et 250 millions de dollars, donc contraignants (cahiers des charges !), auraient dû écraser toute créativité de la part du metteur en scène : il n’en n’est rien ; 007 n’est plus un cyborg humain. Son dernier opus, 1917, est une prouesse technique fascinante ayant pour sujet l’odyssée de deux soldats britanniques en mission durant la Première Mondiale. Il est composé, en apparence, d’un seul plan séquence (en réalité 9 plans séquences numérique aux « coutures » invisibles). Le résultat sur grand écran est bluffant ! Dans Empire of Light, le britannique Sam Mendes change du tout au tout en mettant en scène un drame flamboyant à la Douglas Sirk (1897/1987). Le film est d’une splendeur plastique, non gratuite, par la grâce des images composées par le Directeur de la photo, le britannique Roger Deakins (5 ème collaboration avec Sam Mendes). Elles sont révélatrices des sentiments qui animent les personnages en situation (les bords de mer, le cinéma, l’appartement d’Hillary, etc.). Les différents décors (naturels, studios), très inspirés, lieux de vie des protagonistes, sont les principes actifs de la narration, au demeurant linéaire.
Sam Mendes avant et durant sa période cinématographique a mené, de concert, une carrière remarquable comme directeur de théâtres londoniens, montant de nombreuses pièces du répertoire shakespearien (Richard III, The Tempest, etc.) et Tchekhovien (La Cerisaie, etc.). C’est de ce fait, un excellent directeur d’acteurs. Dans Empire of Light, il dirige trois « Rolls-Royce » : Olivia Colman (Hilary Small) impressionnante de justesse quel que soit le rôle (La Favorite en Reine Anne d’Angleterre ; The Crown en Reine Élisabeth II !), Colin Firth (Mr Ellis, en directeur soucieux) et Micheal Ward (Stephen, l’employé noir soumis à un racisme ordinaire).
Empire of Light est un regard nostalgique sur « le cinéma de papa » britannique bien mal en point : la fréquentation des salles obscures est passée de 1,18 milliard d’entrées en 1955 à … 70 millions d’entrées en 1985 ! (Durée d’exploitation « grosso-modo » de l’Empire) Les spectateurs ont déserté en masse les salles de cinéma dès le mitan des sixties. De grands studios britanniques historiques (Ealing – 1902, Elstree -1914, Bray – 1951) autour de Londres, ont périclité. C’est ce constat de la fin d’une époque, que décrit, à travers des personnages ordinaires, ce long métrage un peu triste, mais pas lacrymal au terme de son visionnage.
Le cinéma n’est pas mort. Vive le Cinéma !
Jean-Louis Requena