Film dano-franco-islandais de Hlynur Palmason – 143′
Avec Elliott Crosset Hove, Victoria Carmen Sonne, Ingvar Eggert Sigurðsson
Une annonce sur l’écran : un carton contenant sept négatifs de portraits d’islandais a été miraculeusement retrouvé. Godland racontera l’histoire (approximative, reconstruite) de ces négatifs datant de la fin du XIXe siècle.
Un jeune prêtre danois, Lucas (Elliott Grosset Hove), protestant d’obédience luthérienne, est convoqué chez son supérieur. Celui-ci l’interroge : veut-il partir en terre inhospitalière d’Islande, alors colonie du Royaume du Danemark (jusqu’en 1944 !), construire une église dans un village reculé ? Il y fait un temps épouvantable ; ce n’est qu’une vaste étendue tourbeuse ; des volcans s’y réveillent, de temps à autre, dégageant, outre leurs dangerosités, une odeur pestilentielle ; pour parachever ce tableau, peu engageant, les habitants de cette île volcanique ne parlent pas le danois mais un idiome local incompréhensible ! Lucas persiste : il veut émigrer avec son appareil photographique et bâtir une maison de dieu dans un hameau. Son supérieur l’avertit : il faudra achever les travaux avant les premières neiges d’hiver.
Lucas et son traducteur (Hilmar Guöjonsson) embarquent sur un navire en bois et à voile qui cingle vers l’Islande. A bord les marins, amusés, posent immobiles de longues secondes, pour être daguerréotypés par Lucas grâce à son appareil photographique à plaques monté sur un trépied. Enfin, le prêtre et son compagnon débarquent sur une longue plage à marée basse. Une petite troupe est formée pour traverser la lande inhospitalière en direction du village où doit officier Lucas. L’expédition est conduite par Ragnar (Ingvar Sigurosson), un rude cinquantenaire islandais, taiseux. Il ne connait que quelques mots de danois. Il enseigne les rudiments de l’équitation à Lucas qui se maintient à cheval tant bien que mal.
La petite troupe traverse des contrées sauvages faites de plaines marécageuses, de lacs, de montagnes enneigées. Lucas, à la constitution frêle, mal à l’aise sur sa robuste monture, s’épuise de jours en jours. La destination finale est encore éloignée. Les jours passent…
Pour son troisième long métrage, Godland, le jeune cinéaste islandais Hlynur Palmason (38 ans), ancien élève de l’Ecole nationale de cinéma du Danemark (de 2009 à 2013) a pris tous les risques : narratif, le rythme est lent, le récit dure 2 heures 23 minutes en deux parties égales ; visuel, le format de l’image est de 1.33 à bouts arrondis et cerclé d’une bordure noire ! ; artistique, la photo est soignée en plans fixes, mise à part deux lents panoramiques à 360° (la caméra fait un tour complet sur son axe !). Hlynur Palmason poursuit sa réflexion entamée par ses deux remarquables films précédents : Winter Brother (2017) et Un jour si blanc (2019). Il explore la violence contenue et la bestialité latente de l’homme, ses interrogations mystiques à caractère métaphysique (le prêtre, les villageois dans Godland); l’omniprésence écrasante de la nature se régénérant dans ses cycles naturels (les saisons), et « absorbant » ainsi, littéralement, les êtres vivants lorsqu’ils meurent. Aucune force contraire (humaine, animale) ne résiste à la nature : elle est sauvage, elle se perpétue.
La musique originale du compositeur Alex Zhang Hungtai ponctue les passages dramatiques, sans saturer l’espace sonore de ce long métrage, pour laisser la bande son à un bruitage naturel : vents, rivières, animaux, etc… A celle-ci s’ajoute, en ponctuation, une musique diégétique (l’instrument et le musicien sont présents à l’écran) de divers instruments : accordéons, tambours en extérieur, et, en intérieur piano et orgue. L’ensemble maitrisé facilite la fluidité du récit dont le déroulé sans heurt, ni « trou d’air », nous surprend tout du long. Dans ses interviews le réalisateur islandais ne cache pas son admiration pour ses grands aînés du Nord, le danois Carl Theodor Dreyer (1889/1968), le suédois Ingmar Bergman (1918/2007), mais aussi pour ceux du sud, le français Robert Bresson (1901/1999) et l’allemand Werner Herzog (1942) ! Les influences (sens du récit épuré, mise en image rigoureuse) de Hlynur Palmason s’enracinent dans le carré magique formé par ces cinéastes européens.
Hlynur Palmason reprend les acteurs de ses films précédents : Elliott Crosset Hove (Lucas) en prêtre luthérien émacié, artiste (photographe), tenace, mystique, et rongé par la culpabilité ; Ingvar Sigurosson (Ragnar) en muletier aguerri, violent, proche de la nature, et poète à ses heures. Ida, la vierge blonde à longues tresses, « moteur » de l’histoire dans la deuxième partie, est interprétée par la fille du réalisateur (Ida Mekkin Hlynsdottir) !
Godland a été projeté au dernier festival de Cannes dans la section Un certain regard, dernier palier avant la sélection officielle ou, de notre point de vue, cette œuvre magnifique à tous regards, aurait dû figurer. Godland est un des grands chocs cinématographiques de l’année qui s’achève !
Jean-Louis Requena