Le Ciel Rouge
Film allemand de Christian Petzold-102’
Allemagne du nord, près d’une station estivale sur la mer Baltique. Une grosse berline traverse une forêt. A son bord, deux jeunes gens, Leon (Thomas Schubert) et Felix (Langston Uibel) écoutent de la musique rock. Le moteur de la voiture a quelques ratés puis elle s’immobilise, en panne, au milieu de la forêt. Felix choisit de partir sur un sentier de traverse en direction de la maison qu’ils doivent rejoindre pour y passer de courtes vacances studieuses. Léon indécis, reste près du véhicule, tétanisé par les bruits de la forêt et ceux soudain, d’hélicoptères.
Felix hilare, de retour, vient chercher Léon pour l’inciter à abandonner la berline en panne et rejoindre la maison à pied, chargés tous deux, de leurs bagages. Ils y arrivent rapidement. Une machine à laver est en marche ; la table de la salle à manger est jonchée d’assiettes sales ; le lit de la chambre qu’ils devaient occuper est défait … Une jeune femme Nadja (Paula Beer), nièce d’une amie de la mère de Felix, propriétaire de la villa, et qui devait les accueillir est absente. Felix l’aperçoit, furtivement sur un vélo, dans la cour. L’installation des deux amis est laborieuse car ils n’ont accès qu’à une petite chambre humide à l’étage. Léon, jeune romancier, est désappointé. Il venait pour retravailler son deuxième roman « Club Sandwich » avant de revoir son éditeur : le manque de place et de confort le déconcerte. Felix se fiche de ce contretemps qu’il prend avec décontraction.
La nuit venue, les deux camarades sont réveillés par des ébats amoureux dans l’autre chambre. Felix se moque de la situation, Léon s’en désole : il ne pourra pas travailler en toute tranquillité à son tapuscrit. Au matin, Nadja apparait avec son amoureux Devid (Enno Trebs), le maitre-nageur qui surveille la plage de la station estivale.
L’été est sec et chaud. Le quatuor de jeunes gens se retrouve pour déjeuner … Léon est de plus en plus renfermé, renfrogné, d’autant qu’il attend, anxieux, la visite de son éditeur pour une relecture de son roman « Club Sandwich » … A quelques kilomètres de la longère, des feux de forêt avancent. Les pompiers s’activent sur les routes et dans les airs …
Le Ciel rouge est le dixième opus du réalisateur allemand Christian Petzold (63 ans). L’idée du film a surgi (scénario) durant le premier confinement. Alité avec le Covid, il regardait de nombreux « films d’été » français et américains. Selon lui, dans les films français, « les films d’été » sont souvent des sortes d’éducation sentimentales à la Éric Rohmer (1920/2010) : c’est la plage, les naissances d’amourettes, les classes se mélangent, les protagonistes passent à l’âge adulte le tout sans drame. Dans les films américains (Teen Movie) ce type d’histoire devient horrifique : des jeunes gens se perdent dans les bois, rejoignent une maison inconnue où un drame épouvantable commence. Christian Petzold dans son lit de souffrance a rédigé une synthèse perverse des deux trames scénaristiques. Le Ciel rouge n’est ni un film léger ni un film d’horreur : c’est une œuvre singulière et dérangeante. Les cinq personnages ont des parcours, des attentes différentes, des désirs inattendus, inassouvis : Léon est en crise d’inspiration, en phase d’échec ; Felix est un compagnon agréable, serein, qui croit à son avenir dans la photo ; Nadja est une femme libérée, mystérieuse ; Devid un sportif qui assume ses désirs multiples, etc. A ce quatuor, un tantinet désaccordé, vient se joindre, temporairement, un autre instrumentiste. L’été devient initiatique sur un fond de tension à la fois des impétrants, et de l’environnement forestier, de plus en plus dangereux.
Léon (Thomas Schubert) moteur du récit, est antipathique, autocentré sur son tapuscrit, sans empathie pour son entourage : il refuse de participer à quoi que ce soit (préparation de repas, réparation de la toiture, excursion à la plage, etc.). Il est cependant le personnage qui, par sa défiance permanente, son absence de légèreté, révèle les autres protagonistes plus solaires. Et pourtant …
Christian Petzold a déjà effectué une longue carrière (premier téléfilm Pilotes en 1994 !). Il est multirécompensé dans de nombreux festivals dont celui de Biarritz : Fipa d’Or 2002 pour son téléfilm Dangereuses rencontres (Toter Mann). Son précédent opus Ondine (2020) a obtenu l’Ours d’argent de la Berlinale. Pour cette œuvre, Paula Beer, son interprète principale, a été élue Meilleure Actrice par le Cinéma Européen.
Le Ciel rouge est une sorte de chronique d’un été un peu particulier, certes filmée sagement, mais instillant un trouble continu au spectateur.
Jean Louis Requena