Film chinois de Li Ruijun-133′
Avec Hai Qing, Wu Renlin, Shengfu Li
Province du Gansu près de la ville de Gaotai. C’est l’hiver dans un petit village désolé de la Chine du nord. La neige tombe à gros flocons. Un âne attend patiemment son maître, Ma Youtie (Wu Renlin), dans une cour entre des maisons en torchis. A l’intérieur d’une des maisonnées, deux familles discutent afin d’arranger un mariage entre Ma Youtie et Cao Guiying (Hai Qing), une jeune femme souffrant de deux handicaps : elle est infirme du bras gauche et souffre d’incontinence. Enfant, elle a été régulièrement battue. Au terme de la négociation à laquelle ne participent pas les deux principaux protagonistes, Ma Youtie doit se marier avec Cao Guiying. C’est la décision des deux familles : une union arrangée, acceptée, de deux êtres qui ne se connaissent pas. Malgré les encouragements du photographe lors des portraits faisant suite à la cérémonie du mariage, les époux ne sourient pas. Leurs familles sont enfin débarrassées de ses deux fardeaux …
Une vie commune sans joie commence. Ma Youtie est un humble paysan vivant dans une maisonnée rudimentaire en pisé. Il cultive plusieurs champs avec l’aide de son âne, auquel il tient beaucoup et qu’il ménage de corvées selon lui, inutiles. Cao Guiying bien qu’handicapée l’aide de son mieux dans ses rudes tâches journalières. Pour avoir quelque pécule, Ma Youtie donne régulièrement son sang au profit de l’administrateur de la coopérative. Son sang, d’une grande rareté, est surnommé « sang de panda ». Ces prélèvements l’épuisent au grand désespoir de Cao Guiying.
Au fil des jours, des saisons, Ma YouTie et Cao Guiying, s’accommodent, s’apprivoisent … Les temps sont difficiles mais Ma Youtie a un grand projet …
Le Retour des hirondelles est le sixième long métrage de Li Ruijun (39 ans), originaire de la ville de Gaotai. Tous ces films sont tournés dans la province de Gansu qu’il connait parfaitement. Le titre original du film est « Caché dans le pays des cendres et de la fumée » (Yin ru chen yan) qui est plus approprié que le titre français, bien qu’il y ait des hirondelles dans l’histoire de ce couple. En 2021, le Parti communiste chinois avait annoncé « la fin de la pauvreté absolue », affirmation que la dernière œuvre de Li Ruijin, également scénariste, remet en cause sobrement. En février 2022, Le Retour des hirondelles a été projeté à la Berlinale en compétition officielle. Il été programmé en Chine (80.000 écrans !) en juillet de la même année après que les censeurs aient modifié la fin (au visionnage, elle détonne !). Le film a rencontré, lors de sa courte exploitation, un grand succès : coût, 2 millions de yuans (270.000 €) pour 100 millions (1,37 millions €) de recette en 62 jours. Nonobstant ce succès, il a été définitivement retiré des écrans chinois. Le correspondant du journal Le Monde en Chine (Frédéric Lemaître) pouvait écrire en octobre 2022 : « Les spectateurs chinois ont donc droit à un « happy end » de pacotille, à la veille du congrès du parti. Dans la Chine de Xi Jinping, nul n’a le droit d’être malheureux, sauf les cinéphiles bien sûr ». Tout régime autoritaire quel que soit son origine (brun, rouge) s’attaque en priorité à la culture sous toutes ses formes (écriture, peinture, musique, cinéma, etc.). Il tend naturellement à la normalisation des esprits vers la pensée uniforme. L’idéologie aveugle la réalité par nature complexe.
Le Retour des hirondelles a été tourné, en suivant les saisons, par le réalisateur, monteur, scénariste, et dit-il avec humour directeur artistique, avec l’aide d’une petite équipe (sa famille), dont oncle qui interprète le rôle principal (Ma Youtie). L’histoire des époux marginalisés, se déroule lentement au gré des péripéties du monde rural (travaux saisonniers), bien mis en image par le chef opérateur Wang Weihua dans un format numérique peu courant (1.55 :1) lequel accentue l’intensité des scènes intimes (intérieurs dépouillés). Le film adopte un rythme lent mais sans que le spectateur ne ressente le moindre ennui malgré la durée de la projection (2 heures 33 minutes). Il y a un trop plein d’humanité dans ces deux personnages à l’existence cabossée, sans horizon, hormis celui de vivre ensemble et de se soutenir mutuellement.
Wu Renin (Ma Youtie) est un acteur occasionnel (oncle du réalisateur !), mais Hai Qing (Cao Guiying) est une actrice de télévision et de cinéma fort renommée en Chine. Elle compose un personnage à la fois effacé mais très présente à l’écran, toujours auprès de son mari. C’est un couple bouleversant par son dénuement, sa simplicité, l’amour/tendresse qui les unit au fil des obstacles à surmonter.
Le Retour des hirondelles est un grand film élégiaque. Cette œuvre chinoise a la même densité narrative (le quotidien du monde paysan) que le film italien d’Ermanno Olmi (1931/2018) L’Arbre aux sabots (1978) Palme d’Or au Festival de Cannes. Le cinéma, dans son meilleur, n’est pas qu’un divertissement : il permet d’appréhender sans juger, par l’émotion, des sociétés autres que la nôtre.
Jean-Louis Requena