Film anglais de Terry Gilliam – 132’
Avec Adam Driver, Jonathan Pryce, Olga Kurylenko
Par Jean-Louis Requena
En 1605 paraît à Madrid, en castillan, « El ingenioso hidalgo don Quixote de la Mancha » première partie d’un roman d’aventures, parodie burlesque des romans de chevalerie alors encore à la mode en ce temps-là. Son auteur Miguel de Cervantès Saavedra (1547 -1616) est un écrivain de 58 ans au parcours étonnant : soldat à la bataille de Lépante (1571), captif des barbaresques à Alger durant 5 ans (1575 -1580), de retour en Espagne, il devint après la publication de plusieurs ouvrages, un écrivain très célèbre en cette acmé du Siècle d’Or Espagnol. Son « Don Quichotte » fut traduit en français dès 1614 avant la parution de la deuxième et dernière partie en 1615 (Cervantès fait mourir l’ingénieux hidalgo pour éviter les nombreux plagiats qui circulaient en Europe).
Ce roman picaresque, en deux parties (milles pages !), ouvre la littérature européenne à la modernité, à la liberté d’écriture : Don Quichotte, dans sa folie intermittente, et son valet Sancho Panza armé de son seul bon sens, forment un tandem détonnant. Ils errent à la rencontre d’un monde réel mais étrange, enchanté, fantasmé pour le Chevalier à la Triste Figure sur Rossinante et ô combien réel pour le laboureur sur son baudet.
Un livre monde à niveaux de lectures multiples, fort long, complexe et donc… inadaptable au cinéma. C’est pourquoi de nombreux cinéastes se sont emparés de ce chef d’œuvre littéraire pour en faire une « réduction » cinématographique dès l’origine du cinéma (Ferdinand Zecca – 1903) à nos jours (Antonio Zurera – 2009). Des géants du 7e art, de diverses nationalités, s’y sont essayés avec plus ou moins de bonheur : Georg Wilhelm Pabst (1933), Grigori Kozintsev (1957), Orson Welles (montage de Jésus Franco – 1992), etc.
Après cinq tentatives avortées depuis 2000 faute d’acteur (Jean Rochefort malade) et de producteurs fiables, Terry Gilliam a de nouveau relevé le défi : Il nous propose dans son dernier opus, une libre adaptation avec son scénariste habituel, Tony Grisoni, du roman de Miguel de Cervantès.
En Espagne une équipe dirigée par Toby (Adam Driver) réalisateur reconnu tourne un film publicitaire sur Don Quichotte. Dans une taverne, découragé par sa médiocre activité professionnelle, il rencontre un gitan qui lui offre une copie de son film d’étude sur Don Quichotte tourné dans la région 10 ans auparavant avec de modestes moyens. Il en visionne la copie et décide de se rendre dans le village où il a enregistré les scènes avec les habitants du cru dont un vieux cordonnier Javier Sanchez (Jonathan Pryce) dans le rôle-titre. Ce dernier, âgé, vit toujours enfermé par une vieille folle (sorcière ?) : il le délivre. Javier libéré se prend toujours pour Don Quichotte et veut partir à la recherche de sa Dulcinée que comme dans le roman de Cervantès, il ne rencontrera jamais. Toby contre son gré est reconnu par Javier comme Sancho Panza et ce nouveau couple disparate, clone de celui du roman, court d’aventures en aventures, comiques, burlesques, dramatiques.
Terry Gilliam, dessinateur humoristique, membre des célèbres Monty Python retrouve dans son dernier long métrage la verve tourbillonnante que nous avions admirée dans ses opus magnum tels Brazil (1985), Les Aventures du Baron Münchhausen (1988). Nous assistons à son talent particulier pour la narration heurtée qui avance par saccades et surprend, ses ruptures de tons dans le jeu des acteurs, la richesse visuelle de ses cadres, son inventivité déroutante, etc.
Terry Gilliam et son scénariste ont compris que le texte de Miguel de Cervantès était inadaptable littéralement et ont de fait, refusé la simple illustration de celui-ci qui nous aurait accablés comme dans tant d’autres longs métrages sur le sujet. Ils ont donc opté pour l’esprit en maintenant une narration échevelée et une mise en abîme du roman et du film qui se « nourrissent » l’un de l’autre par strates déconcertantes.
De surcroît, le réalisateur en bricoleur ingénieux, doté d’un modeste budget pour ce « film à costumes » (17 millions $) a évité le piège tentant des effets spéciaux : tous les trucages sont à fait à l’ancienne, comme du temps de Georges Méliès (1861 -1938) pionnier du cinéma, à l’exception d’une courte scène finale et de quelques fonds de décors.
Ce long métrage foisonnant, son treizième (!), enfanté dans la douleur, est dédié aux deux acteurs aujourd’hui disparus qui auraient dû incarner Don Quichotte : Jean Rochefort (1930 – 2017) et John Hurt (1940 – 2017).
L’Homme qui tua Don Quichotte a été projeté en clôture du dernier Festival de Cannes.
Jean-Louis Requena