Film français de Christophe Honoré-121’
Dans un beau quartier de Paris, lieu d’un tournage désastreux, près d’une grande fontaine avec bassin. Chiara (Chiara Mastroianni) lourdement maquillée, portant une perruque blonde et une robe de soirée improbable, se débat sous une pluie artificielle, soumise aux ordres d’une metteuse en scène virago. Revenue de ce tournage dantesque, épuisée, accablée, elle se plaint auprès de sa mère Catherine (Catherine Deneuve). Cette dernière lui prodigue quelques conseils techniques pour le casting important auquel Chiara doit se rendre sans tarder.
Dans une chambre d’hôtel, Chiara passe l’audition avec son partenaire Fabrice (Fabrice Lucchini) plutôt bienveillant, sous les indications scéniques de la réalisatrice Nicole (Nicole Garcia). Les commentaires et directives de jeu pour les deux acteurs sont flous, contradictoires. Fabrice reste placide mais Chiara craque après une injonction de Nicole : « Joue le plus Mastroianni que Deneuve ». Chiara est à bout. Elle craque. A plus de 50 ans on la renvoie sans cesse à ses fameux parents : Catherine Deneuve (née en 1943, 130 films !) et Marcello Mastroianni (1924/1996, 150 films !). Elle s’en ouvre à son ancien compagnon musicien Benjamin (Benjamin Biolay), lequel tente, sans succès, de l’apaiser.
Chiara est frustrée, furieuse. Dans un miroir elle reconnait les traits de son célèbre géniteur auquel on la compare sans cesse, en dépit d’une carrière cinématographique importante : une cinquantaine de longs métrages depuis ses débuts (1993 : Ma saison préférée d’André Téchiné). Elle décide de masquer sa silhouette féminine en Marcello : un pantalon, une chemise blanche avec cravate, et surtout, un feutre noir à bord rond. C’est le chapeau que portait son père dans le mythique film de Federico Fellini (1920/1993), Huit et demi (1963). Sans plus tarder, elle teste sa nouvelle silhouette auprès de ses proches.
Les réactions de Catherine, de Fabrice, de Nicole, de Benjamin et plus tard de Melvil (Melvil Poupaud), son ancien amoureux de jeunesse, sont pour le moins contrastées.
Nonobstant, Chiara persiste dans son choix d’illusion pas parfaite, mais troublante …
Marcello Mio est l’œuvre de Christophe Honoré (54 ans), artiste prolifique, tous azimuts, à la fois scénariste, réalisateur, dramaturge, metteur en scène de théâtre, d’opéras et écrivain ! Un homme « protée » qu’aucun challenge artistique ne semble rebuter. Marcello Mio est son seizième long métrage, dont sept avec sa « muse » : Chiara Mastroianni (en 2019 : pour Chambre 212, au festival de Cannes celle-ci avait été récompensée par un prix d’interprétation dans la section un certain regard). C’est une collaboration entamée dès 2007, avec une comédie musicale : Les Chansons d’amour. Dans un interview Christophe Honoré relate le sujet de son dernier opus : « L’idée de départ c’était de raconter le quotidien des acteurs quand ils ne sont pas en train de travailler sur un tournage. Ce temps « mort » occupe quand même 95% de leur vie ». Et plus loin il ajoute : « Mais Marcello Mio n’est pas un biopic avec tous les dangers afférents de l’indiscrétion ou de l’obscénité ».
Christophe Honoré possède une grande maitrise du langage cinématographique en tant que scénariste (écriture) et réalisateur de films (visuel et sonore). Ainsi outre la direction des acteurs tous épatants, lesquels épousent l’histoire du dédoublement distancié de Chiara/Marcello, il dédouble également le récit en quatre lieux prisés par Marcello Mastroianni : Paris VI ème arrondissement où est née Chiara, Rome, Latina, et Formia station balnéaire chère au grand acteur italien. Dans l’énorme, extraordinaire filmographie de Marcello Mastroianni, le réalisateur français non sans humour parodie quelques séquences mythiques des films de Federico Fellini dont l’acteur, volontiers malléable, était le « double » : La Dolce Vita (1960) et sa scène iconique dans la Fontaine de Trevi avec Anita Ekeberg ; Huit et demi (1963) et ses dédales. Les décalques des scènes originelles deviennent burlesques. Les copies/citations n’égaleront certes pas l’original, mais rendent hommage à ces chefs d’œuvres intemporels du cinéma mondial.
Le seizième opus de Christophe Honoré est une sorte de fantaisie sur un sujet plus grave qu’il n’y parait. Le doute de la filiation nous étreint tous, à fortiori si nos parents directs ont une importance sociétale incontestable. C’était l’interrogation de Chiara qui, dès l’enfance, a suivi ses parents sur les plateaux de cinéma et donc perçu dès son jeune âge leurs notoriétés. Autrement dit, comment se délivrer de cette hérédité à la fois bénéfique et maléfique. Demeurer à jamais la fille de …, ou le fils de …. Comment s’en défaire ? Sans jamais entrer dans un discours psychanalytique, au demeurant fort peu cinématographique (les exemples abondent !), Christophe Honoré nous ouvre des pistes avec ingéniosité, inventivité, dans un récit picaresque, jamais ennuyeux. Marcello Mio sorte d’allégorie fantaisiste, ne fléchit jamais tout au long de sa projection de 2 heures.
Marcello Mio a été projeté au Festival de Cannes 2024 en sélection officielle.