Film français de François Ozon-112’
Avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert, Édouard Sulpice, André Dussollier
Paris, Les années 30, fin des Années folles. Dans un meublé miteux, sous les toits, vivent deux jeunes amies : Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz) et Pauline Mauléon (Rebecca Marder). La première, comédienne, court les castings où elle est toujours refusée ; la seconde, est une avocate sans client. Elles n’ont pas le sou et doivent à leur propriétaire six mois de loyer qu’elles sont dans l’incapacité de régler. Madeleine compte sur son petit ami, André Bonnard (Édouard Sulpice), futur héritier de l’entreprise des pneus Bonnard pour payer ses arriérés ; cependant, ce dernier est, pour le moment, couvert de dettes. Face à son train de vie dispendieux, son père (André Dussollier), refuse de lui verser le moindre argent. L’entreprise des pneus Bonnard est d’ailleurs en grande difficulté. Le patriarche souhaite qu’André fasse un riche mariage qui permettra de remettre son entreprise à flot. Madeleine est anéantie lorsque son ami lui annonce la nouvelle …
Un inspecteur de police, monsieur Brun (Régis Laspalès) rend une visite impromptue aux deux amies. Soupçonneux, sournois, il pose des tas de questions. Sa conviction est faite : Madeleine a assassiné Montferrand (Jean-Christophe Bouvet), un producteur très connu sur la place de Paris. Madeleine ne peut nier qu’elle avait un rendez vous avec ce producteur libidineux … Elle s’est enfuie précipitamment après une tentative de viol, mais ne l’a pas assassiné, affirme-t-elle.
Suspectée par l’inspecteur Brun, Madeleine est convoquée chez le juge Gustave Rabusset (Fabrice Lucchini) pour un interrogatoire. Ce dernier est également persuadé de la culpabilité de la prévenue qui nie avec force l’homicide. Son amie Pauline, avocate veut assurer sa défense devant une cour pénale.
L’affaire se présente pour le moins sous de mauvais auspices …
Avec Mon crime François Ozon (55 ans) nous livre son 22ème long métrage en … 25 ans, soit un film par an depuis Sitcom (1998). Ce réalisateur prolifique est un cas à part dans l’industrie cinématographique française car ses films traitent de sujets très divers. Quelques exemples : Sous le sable (2000) sur la disparition inexpliquée, soudaine, d’un mari, œuvre qui a relancé la carrière de Charlotte Rampling ; Huit Femmes (2001) un film choral, comédie policière adaptée d’une pièce de boulevard écrite par Robert Thomas (1927/1989) avec des actrices aussi prestigieuses que Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Fanny Ardant, etc. ; Potiche (2010) toujours avec Catherine Deneuve sur l’émancipation tardive d’une femme dans les années charnières (1970/1975) ; Grâce à Dieu (2018) sur le combat des victimes d’un prêtre pédophile du Diocèse de Lyon et du silence de la hiérarchie catholique de la capitale des Gaules. Afin d’avoir la plus grande flexibilité artistique (sujets, budgets, tournage, montage, etc.) François Ozon a fondé, dès 2003, sa propre société de production (FOZ), laquelle a coproduit depuis lors toutes ses œuvres. Le réalisateur/producteur participe également à la rédaction des scénarios avec son complice de toujours, Philippe Piazzo.
Mon crime est de nouveau une adaptation d’une pièce de boulevard de 1934 écrite par les dramaturges Louis Verneuil (1893/1952) et Georges Berr (1867/1942). François Ozon et Philippe Piazzo ont gardé le mécanisme dramatique de la pièce (la structure), tout en modifiant le sexe et la fonction de certains personnages. Ce théâtre de Boulevard très en vogue dans les Années folles a mal vieilli ; mais souvent, l’ingénuité du récit, sa légèreté, sa vélocité, sont intéressantes. Ainsi, c’est avec précaution que les scénaristes, tout en gardant le récit « désossé » des années 1930, l’ont revêtu d’une parure de notre temps. Le féminisme post #MeToo d’aujourd’hui imprègne les propos, les attitudes, de Madeleine et Pauline et génère un décalage délicieux d’autant que le tempo (dialogues, scènes) est mené à toute allure, sans pause (« trou d’air » dans le scénario, péché récurent de la production française !) : le rire est provoqué par l’incongruité des situations à la Georges Feydeau (1862/1921) doublé de l’habilité de la mise en scène. Nous vivons un décalage constant qui ne faiblit pas tout au long de l’histoire, par ailleurs rocambolesque. A n’en pas douter, François Ozon en bon cinéphile connait les œuvres des deux grands maîtres des comédies cinématographiques, plus complexes qu’elles n’y paraissent : l’américain Ernst Lubitsch (1892/1947) et le français Sacha Guitry (1885/1957), pour ne citer qu’eux. Philippe Rombi, son compositeur habituel, a signé des plages musicales, avant le tournage du film, et délivré des maquettes de celles-ci. Elles ont été utilisées pour rythmer (en crescendo) les scènes toujours vives, alertes. Ce procédé connu est peu courant dans la fabrication d’un film : la musique étant composée et enregistrée, en règle générale, à posteriori (contre-exemple fameux : Sergio Leone, Stanley Kubrick !).
Comme lors de ses précédentes œuvres, François Ozon aime s’entourer de ses comédiens habituels : Fabrice Lucchini (le juge Gustave Rabusset, pontifiant), André Dussollier (Monsieur Bonnard, patron de l’entreprise de pneumatiques), Michel Fau (le procureur de la République, grandiloquent) et Isabelle Huppert (Odette Chaumette, une « vieille » comédienne). Des nouveaux venus dans les seconds rôles sont tous nécessaires au bon déroulement de l’intrigue : Dany Boon (Palmarède, un architecte marseillais au redoutable accent !), Daniel Prévot (Parvot, le président des assises, débonnaire), Régis Laspalès (Brun, l’inspecteur de la P.J, retors). A cette troupe viennent se joindre deux jeunes comédiennes de talent : Nadia Tereszkiewicz (26 ans) et Rebecca Marder (27 ans) ex-sociétaire de la Comédie Française.
En définitive, Mon crime est une comédie de faux semblants, les personnages se révélant différents, surprenants, au fil de l’intrigue. De surcroît, ce long métrage, savoureusement théâtralisé (les décors de studios sont évidents), est une mise en abyme, actualisée avec ironie (1935/2020), de la misogynie « qualité française » qui a nourri le théâtre de divertissement.
Jean-Louis Requena