Perfect Days
Film germano-japonais de Win Wenders-119’
Perfect Days (Titre d’une chanson du Velvet Underground interprétée par Lou Reed – 1967)
Wilhelm Wenders, dit Wim Wenders, est un réalisateur, producteur de cinéma, scénariste et photographe, né en Allemagne de l’Ouest en 1945 (Düsseldorf). C’est une figure centrale du « Nouveau cinéma allemand » de la décennie 1970/1980, inspiré de la « Nouvelle Vague Française » qui l’a précédé (1960/1970). En 1966/1967, Wim Wenders vit à Paris où il fréquente assidument la Cinémathèque Française alors dirigée par Henri Langlois (1914/1977). Il découvre de grands classiques du cinéma mondial avec des réalisateurs tels que Friedrich Wilhelm Murnau (1888/1931), Fritz Lang (1890/1976), Yasujiro Ozu (1903/1963), etc.
De retour en Allemagne de l’ouest, après un premier long métrage « classique » (1972 : L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty), il marque une forte rupture artistique (fond et forme). Dès lors, il entame sa trilogie cinématographique sous forme de « road movie » dans l’Allemagne Fédérale d’après-guerre : Alice dans les villes (1973) sur les tribulations d’un journaliste désabusé et d’une petite fille revêche ; Faux Mouvement (1975) inspiré de Wilhelm Meister de Johann Wolfgang von Goethe (1749/1832) et Au Fil du temps (1976) vagabondage en fourgonnette de deux hommes à la frontière de l’Allemagne de l’Est (République démocratique allemande). Dans cette trilogie qui imprimera durablement sa filmographie ultérieure, il développe ses thèmes de prédilection : mouvement (avion, voiture, train), paysages (urbains, friche industrielle, champêtre), quête existentielle (mutisme, apparente indifférence). Dans cette veine désabusée, à son acmé, il produira deux longs métrages : L’Etat des choses (1982), Lion d’or à la Mostra de Venise et Paris, Texas (1984) Palme d’or au 37 ème Festival de Cannes.
Dès 1985, il enrichit d’un nouveau genre sa filmographie : les documentaires. Citons les plus remarquables : Tokyo-Ga (1985) à la gloire de son maître japonais, Yasujiro Ozu ; Buena Vista Social Club (1999) sur les musiques populaires cubaines ; Pina (2011) sur la chorégraphe allemande Pina Bausch décédée en 2009 (film en 3D) ; Anselm. Le bruit du temps (2023) sur le peintre et performeur allemand Anselm Kiefer ((film en 3D).
Wim Wenders a, tout au long de sa filmographie, alterné des œuvres de fiction (25 longs métrages !) avec des documentaires (12 longs métrages). Perfect Days est un genre de fiction documentée sur un homme et des toilettes publiques dans la mégalopole de Tokyo (15 millions d’habitants !). Le réalisateur allemand, a été sollicité par un producteur japonais pour tourner à Tokyo 4 ou 5 courts métrages sur les toilettes publiques de cette ville, œuvres de grands architectes nippons. Visitant les lieux, Wim Wenders affirmera : « Elles ressemblaient plus à des temples de l’assainissement qu’a des toilettes ». Avec l’aide du coscénariste Takuma Takasaki, les courts documentaires projetés sont devenus une œuvre de fiction autour d’un gardien unique, personnage crédible et réel.
Dans un quartier populaire de Tokyo, au petit matin, Hirayama (Koji Yakusho) est réveillé, comme chaque jour, par le cantonnier qui nettoie la chaussée avec son balai. Hirayama range son futon, fait une rapide toilette, et rejoint sa camionnette garée devant sa maisonnée. Il n’oublie pas de prendre son café au distributeur automatique de boisson. Hiriyama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo ; il semble se satisfaire d’une vie simple. En dehors de sa routine quotidienne, qu’il effectue armé de balais, de serpillières, et de trousseaux de clés, il aime la musique populaire américaine des seventies (Lou Reed, Patti Smith, Otis Redding, etc.) qu’il écoute sur un antique magnétophone à cassettes, et les livres de poche qu’il lit, chez lui, la nuit tombée. A la pose déjeuner, dans un parc, il photographie les feuilles des arbres (« Komorebi », la danse des feuilles dans le vent) avec un vieil appareil ; il range chez lui soigneusement, les photos papier dans des boites. Le soir, il s’autorise quelques sorties, notamment dans le modeste restaurant de Mama (Sayuri Ishikawa), une ancienne chanteuse de chansons japonaises. En principe, il est aidé dans sa besogne, par son collègue Takashi (Tokio Emoto), un paresseux, toujours en retard, en rupture avec sa petite amie, une punk, Aya (Aoi Yamada).
Hirayama semble vivre une vie professionnelle et personnelle monotone ou tout est à sa place et une place pour chaque chose. Il a l’air serein, apaisé, dans cette monotonie. Pourtant, une série de rencontres inattendues dévoileront, peu à peu, son passé …
A partir d’une histoire minimaliste, Wim Wenders nous montre, avec son élégance fluide habituelle (voyages en voiture, travelling latéraux, plans fixes contemplatifs, etc.), l’existence d’un homme plus complexe qu’il ne parait. André Malraux (1901/1976) a écrit : « Pour l’essentiel, l’homme est ce qu’il cache : un misérable petit tas de secrets » (1943 : Les Noyers de l’Altenberg). Hirayama est quasiment muet, mais son langage corporel (surtout facial) parle pour lui. C’est un personnage en marge (volontaire), taiseux, comme le réalisateur/scénariste les affectionne (Alice dans les villes, Au Fil du temps, L’Etat des choses, Les Ailes du Désir, etc.). Wim Wenders traduit, en images sublimées (directeur de la photographie, Franz Lustig), l’influence expérimentale de son ami écrivain autrichien Peter Handke (81 ans) : intrigue ténue, silences, absence d’explications logiques, narration oscillante, etc.
Perfect Days est un long métrage quasiment muet (Hiramaya est économe de mots, comme s’il les retenait) sur des histoires banales, quotidiennes, en apparence sans grand intérêt, mais qui par la magie de la mise en scène (images, musiques) dépassent leur banalité : elles sont éternelles.
L’acteur japonais, Koji Yakusho (Hirayama) irradie Perfect Days de son immense talent. Il ne cabotine pas, tout en subtilité, et laissant entrevoir à travers la grille du non-dit, un monde insoupçonné de détresse muette, de tendresse inavouée. Au Festival de Cannes 2023, Koji Yakusho a été récompensé par le Prix d’interprétation masculine. C’est mérité !
Jean-Louis Requena