Sortie en salle le 13 février 2018
Film américain de Paul Thomas Anderson – 130’
Avec Daniel Day-Lewis, Lesley Manville, Vicky Krieps
Par Jean-Louis Requena
Dans un quartier chic de l’ouest londonien, une maison de haute couture ouvre ses portes à ses ouvrières qui, très disciplinées, montent dans les ateliers de cette grande maison bourgeoise pour y continuer leurs travaux. Le couturier Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis) prend son breakfast copieux en compagnie de sa sœur Cyril (Lesley Manville) tout aussi silencieuse que son frère qui, concentré, griffonne des croquis de robes. C’est un cérémonial matutinal immuable ou la tenue vestimentaire, la rigueur, préludent à une longue journée de travail. Reynolds est méticuleux, intransigeant, peu soucieux de son entourage, emmuré psychiquement dans son travail de créateur tandis que sa sœur est la gestionnaire attentive de l’entreprise. Ils forment un couple soudé que rien ne semble pouvoir éroder. Pour se délasser Reynolds part en petite voiture de sport dans son cottage hors de la capitale. Dans une auberge il s’arrête pour prendre seul son breakfast pantagruélique et là, fait la connaissance d’une serveuse Alma (Vicky Krieps). Elle est grande, maladroite, d’une beauté irrégulière dotée d’un accent germanique. Il lui propose de rentrer à Londres et de devenir son mannequin fétiche, son égérie. Progressivement, Alma Elson prendra une place grandissante dans la vie parfaitement ordonnée de Reynolds sous le regard soupçonneux de sa sœur Cyril. Le trio cohabite dans la grande maison à la fois atelier de couture (sous les toits) et habitation aux multiples couloirs, avec un grand escalier en son centre. Sous le coup de la pression que subit sans cesse le créateur (il doit combler une clientèle fortunée, de son caractère très affirmé), les relations entre les protagonistes vont subir de subtils changements qui vont modifier leurs relations.
La trame de l’histoire ainsi racontée est celle commune de Pygmalion : un homme découvre une jeune femme et la révèle a elle même et au monde. Synopsis rabâché dans maintes productions cinématographiques ! Mais ici Paul Thomas Anderson scénariste de son huitième long métrage (aidé par Daniel Day-Lewis qui n’est pas crédité à ce titre au générique) brouille les cartes, nous entraîne dans un récit étrange et déroutant. Les « scènes à faire » n’arrivent jamais sur l’écran et d’autres répétitives (les breakfasts !) sont une série de variations visuelles et surtout auditives (sons d’ambiance) décrivant ainsi sans paroles l’état psychique, émotionnel du trio. D’autres apparaissent comme des pièces rapportées dans la structure du scénario mais essentielles à sa cohésion. Sans cesse le réalisateur nous surprend et rompt la linéarité attendue de l’histoire. On repère l’influence d’Alfred Hitchcock (Rebecca – 1940 – Soupçons – 1941) et de Stanley Kubrick pour la qualité de l’image et la bande son (musique et bruitage). Le réalisateur nous propose un récit ou le hors cadre (ce qui n’est pas sur l’écran) est aussi important que le cadre. Peu de cinéastes sont capables de faire ressentir au spectateur ce phénomène : seuls quelques uns y parviennent.
Paul Thomas Anderson nous livre un film hors normes bien dans son tempérament. Il est réputé pour son fort caractère et son intransigeance. Il maîtrise son long métrage de bout en bout puisque qu’il est également coproducteur (Ghoulardi Film Compagny) et de ce fait possède le final cut (montage final). Il est également le chef opérateur de ce film au budget confortable (35 millions $) ce qui est rarissime dans l’industrie cinématographique américaine. C’est un créateur à part tout comme le personnage principal masculin de son dernier opus. Peut-être est-ce une espèce d’autobiographie déguisée, autrement couturée ?
La musique très présente de Jonny Greenwood n’est pas insupportable comme dans nombre de films de style hollywoodien mais bien au contraire, en dépit de sa persistance sonore, elle lie les scènes entres elles et assure un continuum narratif sans redondance.
Le trio d’acteurs est dirigé d’une main sûre par Paul Thomas Anderson dont on a reconnu par le passé ce talent, pas si courant chez nombre de metteurs en scène, dans ses précédents films (There Will Be Blood – 2007, Master – 2011).
Il fait partie de la génération de cinéastes apparue dans les années 90 (Steven Soderbergh, Quentin Tatantino, Spike Jonze, David Fincher, etc.) qui maintiennent haut le fanion du cinéma américain « indépendant » et dont l’ambition est de nous raconter grâce au média cinéma, des histoires complexes dénuées de super héros simplets, masqués, chamarrés et caparaçonnés.
Phantom Tread (fil caché chez nos amis canadiens) est un film à voir toutes affaires cessantes.
Jean-Louis Requena