Film français d’Alice Winocour – 1 h 45
Avec Virginie Efira, Benoît Magimel, Maya Sansa, Grégoire Colin
Sortie : 7 septembre 2022
Par Jean-Louis Requena
Paris hiver 2015, au matin. Mia (Virginie Efira) a peine éveillée fait tomber, dans sa cuisine, un verre qui se brise en mille morceaux. Un mauvais présage ! Son compagnon Vincent (Grégoire Colin) pressé, avale son petit déjeuner rapidement puis lui propose un rendez-vous afin de dîner, en tête à tête, dans un restaurant. Elle accepte. Mia travaille comme traductrice de russe à la Maison de la Radio (Paris XVIe). En blouson noir, casquée sur sa moto, elle rejoint le soir Grégoire dans le restaurant convenu. Celui-ci semble mal à l’aise, emprunté. Soudain son portable
vibre : un appel d’urgence de l’hôpital. Il s’excuse, mais doit partir immédiatement. Mia reste seule devant son assiette à peine entamée.
A l’extérieur, la pluie redouble d’intensité. Malgré les conditions météorologiques, Mia reprend sa moto et, sous une pluie diluvienne, parcourt Paris, puis se gare pour s’attabler, non sans difficulté, dans une brasserie bondée. Un serveur aimable lui trouve une table libre dans l’arrière salle de l’établissement. Autour d’elle, les gens de nationalités différentes, espagnole, chinoise, japonaise, etc., sont joyeux : ils rient, ils s’interpellent, insouciants… Dans une grande table, non loin d’elle, un homme entouré de ses amis fête son anniversaire : son regard amusé se pose avec insistance sur Mia. Gênée, un peu stressée, elle se rend aux toilettes, pour se rafraichir. Elle en sort. Soudain des coups de feu retentissent dans la brasserie. Des gens s’écroulent devant elle … Elle se plaque sur le sol, s’immobilise sans rien voir dans un vacarme assourdissant de détonations et de cris de douleur : les agresseurs achèvent méthodiquement leurs victimes jonchant, dans un désordre indescriptible, le sol de l’établissement…
Mia blessée, est évacuée ; l’homme atteint plus gravement, est également pris en charge par les secours arrivés sur place … Guérie, après une convalescence de trois mois, Mia revient devant la brasserie comme « aimantée » par elle. Fortuitement, elle rencontre l’homme au regard insistant qui se nomme Thomas (Benoît Magimel) : il est blessé aux jambes et se déplace péniblement avec des cannes anglaises. Mia ne se souvient de rien concernant l’attentat, elle est amnésique ; Thomas se souvient de tout …
Revoir Paris est le quatrième long métrage d’Alice Winocour (46 ans) après l’épatant Proxima (2019) narrant la vie ordonnée, dans une base isolée, lointaine (le Khuzestân ?), d’une femme cosmonaute. Déjà, le thème de la féminité responsable (spationaute et mère d’un jeune enfant !) y était développé. Ce n’est pas un hasard si la réalisatrice, également scénariste (c’est une ancienne étudiante de la FEMIS dans cette section), est membre du Collectif 50/50 dont le but est de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel. Le frère d’Alice Winocour, un rescapé du Bataclan (attentat du 13 novembre 2015), lui toujours déclaré, rapporte-t-elle que « un attentat est irreprésentable ». Affirmation qu’elle a retenue dans la rédaction de son scénario avec ses collaborateurs (Jean-Stéphane Bron, Marcia Romano). Aussi l’agression est représentée, brièvement, dans une courte séquence, par des images furtives (on ne voit pas les tueurs armés de Kalachnikov) mais par des sons sourds, persistants, lointains, comme irréels. Cet évènement éruptif, traumatique, refoulé par Mia, c’est d’abord des sons : « le son persiste alors que les images disparaissent ». Revoir Paris c’est aussi le portrait de Paris, cette mégalopole cosmopolite, chaotique, traversée par Mia en blouson de cuir noir sur sa moto mythique (une Triumph !), à la recherche de son couple évanescent, de sa mémoire défaillante, des survivants réunis en un groupe de soutien, sans oublier Thomas, parfait inconnu sympathique, gravement atteint dans sa chair, mais qui se souvient de tout grâce à son exceptionnelle mémoire photographique. Mia c’est les sons, Thomas les images. Il faut que les deux se fondent : c’est tout l’enjeu du film ! De fait, ces personnes n’auraient jamais dû se rencontrer, mais elles ont vécu la même expérience de la tuerie.
Revoir Paris est un film choral saisissant, où la mémoire traumatique individuelle, fragmentaire (Mia) se frotte à la mémoire collective en construction pour s’en nourrir (Thomas, les personnages de l’association, les salariés de la brasserie, etc.). La structure du scénario, par ailleurs très bien écrit, permet sans rupture de ton, en parfaite fluidité, des allers/retours dans le « brouillard » mémoriel. La « musique d’église » (proche de celle d’Arvö Part), discrète, mais très présente de la suédoise Anna Von Hausswolff relit d’un continuum sonore, les scènes entre elles, les courts flashbacks qui jalonnent le parcours de Mia (physique et mental).
Virginie Efira non fardée, habillée simplement (pantalon jean et blouson) avec une queue de cheval pour retenir ses longs cheveux blonds, enfourchant sa moto, est surprenante dans le rôle de Mia dont le visage, le corps, les attitudes, laissent apparaître dans sa quête, sans esbroufe, les émotions qui la transpercent. Les rôles secondaires, tels que ceux de Benoît Magimel (Thomas), Grégoire Colin (Vincent), Nastia Golubeva (Félicia), et quelques autres, sont bien dessinés et interprétés avec sensibilité, sans pathos.
Revoir Paris a été présenté au Festival de Cannes 2022 dans la section « Quinzaine des réalisateurs » dernier palier pour accéder à la sélection officielle à laquelle, à n’en pas douter, accèdera Alice Winocour dans de prochaines années.