Film français de Pierre Schoeller – 121’
Avec Laurent Lafitte, Louis Garrel, Gaspard Ulliel
Par Jean-Louis Requena
Jeudi Saint 1789. Précédé d’huissiers, Louis XVI en majesté (Laurent Lafitte) entre dans une pièce où sont assis sagement, en rang, des enfants aux jambes dénudées. Le roi s’agenouille devant eux et procède méticuleusement au lavement des pieds qu’il baise ensuite délicatement. C’est un roi thaumaturge dans une monarchie absolue ! Mais à Paris, loin de Versailles, la révolte gronde.
Juillet 1789. La Bastille, forteresse médiévale, quasiment vide, symbole monumental de la royauté, a été prise le 14 juillet par le peuple du faubourg Saint-Antoine. Des terrassiers démolissent l’imposant édifice libérant ainsi la lumière qui envahit les ruelles où vivent les petites gens du quartier : L’Oncle (Olivier Gourmet) artisan verrier, sa femme Solange (Noémie Lvossky), les lavandières, Reine Audu (Céline Salette), Françoise (Adèle Haenel), Margot (Izïa Higelin), etc. Ils sont révolutionnaires de la première heure et ont participé à la prise de la Bastille. C’est le petit peuple d’artisans, de manouvriers, qui s’enflamme pour les idéaux de la révolution tout en croyant en Dieu (pour une part) et au roi (pour tous). Aux premiers jours d’octobre 1789, un cortège de femmes, sous la pluie, menée par Reine Audu ramène le roi et sa famille aux Tuileries au centre de la capitale (« le boulanger, la boulangère et le petit mitron »). Les parisiens ont faim !
Dès lors à Paris, des travaux sont lancés pour aménager la salle des manèges qui deviendra le siège de l’Assemblée Nationale. Les débats parlementaires fiévreux reprennent sous les regards du peuple qui observe depuis les tribunes. Les orateurs se succèdent : l’Assemblée Constituante dans sa majorité adopte un système politique que l’on pourrait qualifier de monarchie constitutionnelle avec droit de veto pour le roi.
Le temps passe, sans que la fièvre révolutionnaire retombe. Le 21 juin 1791, Le roi et sa suite sont arrêtés à Varennes alors qu’il fuyaient vers la frontière rejoindre les armées ennemies. Dans le long cortège du retour, un jeune délinquant, libéré par un prêtre humaniste (rédacteur d’un cahier de doléances), Basile (Gaspard Ulliel) rejoint l’imposante colonne qui s’achemine vers Paris où le roi et sa suite seront enfermés aux Tuileries.
Un nouveau chapitre du processus révolutionnaire s’ouvre car le roi a tenté de s’enfuir de France. Les esprits s’enflamment et l’opinion bascule massivement en défaveur du roi : certains prônent la fin de la royauté et la proclamation d’une république « une et indivisible ».
Dans ce dilemme que faire de la personne physique et symbolique du roi ci-devant Louis Capet ? Bien entendu, nous connaissons tous la fin tragique de cette histoire.
Les films historiques ont une particularité : ils sont réducteurs du fait du médium même qu’est le cinéma (personnages caricaturaux, indigence du langage visuel, approximation
historique, etc.). La complexité narrative surtout face à un tel « bloc historique » qu’est la Révolution Française d’ampleur, dès son origine, universelle, passe mal dans une narration visuelle forcement simplificatrice. Ce n’est pas par hasard que des milliers de livres ont été écrits sur le sujet remplissant les rayons de bibliothèques (de Jules Michelet à Mona Ozouf). Les situations au cinéma doivent être « condensées » sinon elles deviennent incompréhensibles : or le long métrage de Pierre Schoeller est « clair » malgré le cours rapide des évènements entre le 14 juillet 1789 et le 21 janvier 1793 jour de la mort du roi.
Pierre Schoeller s’est longuement documenté sur la Révolution Française : pas moins de 7 ans depuis son dernier film (L’exercice du Pouvoir – 2011) déjà remarquable pour sa réflexion sur le pouvoir, l’identité politique et le rapport à celle-ci dans le monde d’aujourd’hui. Nourri par de jeunes historiens comme Guillaume Mazeau (Maître de Conférence à la Sorbonne) il a élaboré une structure narrative qui balance astucieusement du petit peuple des faubourgs ouvriers aux débats parlementaires animés par des figures politiques connues tels que Robespierre, Saint-Just, Marat, Desmoulins, Danton, etc. Autant les personnages du peuple actif sont fictionnels, autant ceux des politiques sont réels et, de surcroît, leurs interventions à la tribune sont issues des verbatim des assemblées. Pour fluidifier le déroulé historique le réalisateur/scénariste use de vieux procédés cinématographiques très efficaces : cartons explicatifs, sous-titres, voix off qui « gomment » les scènes d’exposition.
Signalons également le formidable travail du chef opérateur Julien Hirsh qui dans la mesure du possible a capté la lumière naturelle (scènes extérieures), ou celle des bougies (scènes intérieures) sans que cela paraisse trop fabriqué.
Il existe de nombreux films français ou d’autres nationalités sur la Révolution Française. Fort peu sont à retenir. Soit ils succombent au « syndrome scolaire » (mécaniste, explicatif et sans relief) soit à une idéologie (manichéisme rouge ou blanc) où a une approche frivole (hors de propos). La liste des échecs est accablante tant le traitement cinématographique de ce matériau historique qu’est la Révolution Française est difficile à maîtriser pour ce médium. Pierre Schoeller nous propose à partir d’individualités fortes issues du peuple, de parlementaires historiques avec en surplomb la figure tutélaire du roi, une sorte de « documentaire fictionnel ».
Son film est conçu comme un opéra tragique dont nous connaissons la fin et qui, nonobstant, nous surprend par son intensité. Par son audace, le dernier opus de Pierre Schoeller honore la production cinématographique française